Au temps où tous les animaux vivaient encore ensemble, le lion tomba amoureux de la brebis et décida de se marier avec elle. Tous les animaux fêtèrent l’événement à grands frais, et la nouvelle se répandit aussi vite qu’un feu de brousse.
– Un lion, épouser une brebis ! Quel scandale et quelle honte ! répétaient les animaux.
À ces critiques faites à basse voix, le lion répondait tout haut :
– Et pourtant, j’aime beaucoup ma femme brebis.
Seule l’hyène, profondément choquée, réfléchissait et complotait en secret :
– Malgré tout ce qu’on pense de moi, je vais quand même montrer que les qualificatifs de « lâche » et de
« poltron » qu’on m’attribue ne sont que purs mensonges et viles médisances.
Elle vint donc un soir trouver le lion chez lui :
– Majesté Lion, dit-elle, il est clair pour tout le monde que tu es le plus respectueux, le plus majestueux de tous les animaux de la terre. Mais tu as pris comme épouse une sorte d’individu niais et bête qui ne lève jamais la tête, même vers le ciel qui l’a accueilli. Vraiment, tu ne mérites pas pareille épouse ! Tu fais traîner ton nom dans la boue. Dévorons-la donc et laisse-moi aller te chercher une femme digne de ta grandeur !
– Je ne dévorerai pas ma femme, car je l’aime, et j’ordonne que tes propos s’arrêtent là !
L’hyène s’en alla toute honteuse. La nuit suivante, l’hyène revint cette fois en courant bien vite, à grandes enjambées.
– Ah ! Ah ! Majesté ! As-tu appris ce que j’ai appris ?
– Quoi donc ? dit le lion.
– Il paraît que lorsque l’eau de pluie touche à la peau des brebis, il y a une maladie qu’on appelle la gale qui leur enlève tous les poils jusqu’aux oreilles et aux pattes ; elle leur tanne la peau jusqu’à la chair rouge, une sorte de la lèpre, quoi ! Cette lèpre s’attaque aussitôt à son conjoint et lui cause les mêmes maux. Tu te vois, toi, sans crinière et sans cils, sans pelage et sans queue, la peau tannée jusqu’à la chair comme un poulet plumé, avec des mouches partout ?
– Ah bon, s’écria le lion ! Eh bien Hyène, à y réfléchir, je vois que celle-ci n’est véritablement pas ma femme. On devra donc, au plus tard ce soir, par tous les moyens et par toutes voies, la dévorer.
L’hyène toute contente s’en alla. Le soir, la brebis qui n’était au courant de rien rentrait chez elle quand elle rencontra une vieille femme qui l’interpella :
– Brebis prend garde, car l’hyène que tu vois chez toi et que tu honores veut en réalité, ta peau. Aujourd’hui, elle y a réussi. Ne va donc pas là-bas parce qu’ils t’attendent tous les deux pour t’écorcher et te croquer. Cependant, viens que je te propose une ruse qui te permettra d’être sauvée, car moi, je suis vieille et pleine d’expérience !
La vieille femme donna à la brebis une petite calebasse pleine de miel et lui confia un secret. La brebis poursuivit son chemin. Elle entra, salua et sauta par-dessus les jambes étalées de son mari.
– Sacrilège ! cria le lion. Quel irrespect ! Quel déshonneur ! Pourquoi donc as-tu fait cela ?
– Pardonne-moi cher mari, Dieu seul sait que je ne l’ai pas fait exprès !
– Ah non, s’écria l’hyène, le saut d’une femme par-dessus un homme porte toujours malheur ; car nous avons vu seulement avant-hier un homme dont la femme lui était passée dessus, mourir aussitôt. Il ne s’est pas passé deux minutes qu’il trépassa le pauvre !…
– Ah bon ! s’écria le lion qui sauta d’un grand bond sur sa femme.
Mais avant que ses pattes ne touchent le sol, la brebis eut le temps de jeter dans la gueule du lion la petite calebasse de miel que lui avait donné la vieille femme. Le lion s’assit sur son derrière en soupirant de jouissance :
– Dis-moi, chère épouse, où donc as-tu eu ce breuvage ?
– Il y a, dans la forêt d’à-côté, tes collègues lions comme toi, qui ont assemblé toutes les hyènes pour leur presser le ventre afin de faire sortir par leur derrière ce liquide dont ils remplissent des outres entières. Sache que c’est du miel et que chaque hyène en a le ventre plein.
– Hyène, tu me caches de si bonnes choses ! Je jure que tu n’emporteras pas l’outre de
miel que tu couves !
L’hyène eu beau se défendre et crier au complot, le lion l’attrapa, la souleva bien haut et la lança par terre en pressant bien fort sur son ventre. Il n’en sortit évidemment pas de miel, mais des petites crottes nauséabondes, des morceaux d’os et aussi des graines de goyaves et des noyaux de mangues.
Ainsi finissent tous les mouchards !