Le calao est un grand oiseau noir, avec un grand sac rouge sous le coup. C’est dans ce sac qu’il mettait les crapauds et les grenouilles qu’il allait chaque jour capturer dans la brousse. Il revenait les partager avec sa famille. Et comme il ne plaît à personne de garnir le plat d’un autre tous les jours, les grenouilles et les crapauds décidèrent de se mettre à l’abri. Étant donné qu’ils n’avaient pas de moyens pour se défendre (ils n’ont ni bec ni serres !). Ils allèrent donc se réfugier au fond de la marre, où ils bâtirent leurs maisons.
Le calao qui ne sait ni nager ni pêcher ne trouva alors plus à manger.
Chaque matin, il partait à la chasse, battait toute la brousse en vain. Le soir, il rentrait bredouille à la maison, et écoutait avec peine les cris et les pleurs de sa femme et de ses enfants :
– On va mourir de faim !
À la fin, le calao était tellement affamé qu’il ne pouvait même plus aller à la chasse. Chaque matin, il se traînait jusqu’à la porte de sa case dans laquelle il restait couché, pleurant et gémissant comme une orpheline :
– Je vais mourir ! Toute ma famille va mourir de faim !
Un jour, Zozani le lièvre, qui passait par là, le vit dans cet état.
– Qu’est-ce qui t’arrive donc, frère calao ? demanda ce dernier apitoyé.
Quand le calao lui eut expliqué ce qui lui arrivait, Zozani le lièvre lui dit :
– Voilà ce que tu vas faire : demain, matin de bonne heure, tu vas recouvrir ton corps de Soumbala (moutarde africaine) et te coucher au bord de la marre pour faire le mort. On va voir ce qu’on va voir !
Le lendemain, le calao fit comme Zozani le lièvre le lui avait demandé.
Par sa femme, il se fit oindre le corps avec du soumbala et du datu, des condiments qui sentent très fort. Puis il alla se coucher au bord de la marre. Zozani le lièvre vint l’ausculter avant de descendre au fond de la marre annoncer au roi des crapauds et des grenouilles que le calao était mort. Ce dernier ne le prit pas au mot. Il le fit accompagner par le prince héritier pour aller constater le décès du calao.
Le prince héritier du pays des crapauds et des grenouilles vit le calao étendu au bord de la marre. Il avait les ailes déployées et des légions de mouches bourdonnaient tout autour. Le prince héritier des grenouilles et des crapauds ne crut pas pour autant à la mort du calao. Il lui donna un puis deux coups de pieds. Le calao ne bougea pas.
Le prince des grenouilles alla prendre une épine et piqua encore et encore le calao.
Celui-ci ne remua pas. Quand il eut tout fait sans que le calao bouge, il redescendit alors au fond de la marre en courant :
– Papa ! Papa ! le calao est mort et bien mort ! Il est même en train de pourrir. Si on n’organise pas ses funérailles tout de suite, il ne restera rien de lui !
Aussitôt, le roi appela tout le monde à sortir de l’eau pour aller célébrer la mort du calao. Et tous, femmes, hommes, enfants sortirent avec des tam-tams et des balafons. Ils firent un grand cercle autour du calao et commencèrent à chanter et à danser :
– Le calao est mort, vive les grenouilles et les crapauds ! Le calao est mort, vive nous !
Le calao les laissa chanter et danser jusqu’à ce qu’ils soient tombés ivres morts. Ce fut alors que le calao sauta sur ses pattes et commença à les ramasser :
– J’en avale pour ma propre faim et j’en mets dans mon sac pour ma famille !
Ceux des grenouilles et des crapauds qui échappèrent à sa rage se réfugièrent de nouveau au fond de la marre, et depuis, ils n’en sortent plus, même pour chanter ! Ceux qui ne peuvent naturellement s’empêcher de le faire, se contentent de sortir le bout de leur nez pour lancer leur chant et redescendre aussitôt.